Présentation d'un résumé de la conférence à Abidjan en 1964 pour les lecteurs du site Bisharat!. Retourner à la page des Documents de base.


Langues et politiques de langues en Afrique noire : l’Expérience de l’UNESCO, édité par Alfâ Ibrâhîm Sow (Nubia, Paris, 1977)

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Première partie

ORIENTATION ET MOYENS

D’UN PROGRAMME OPÉRATIONNEL

APPLIQUÉ À L’ALPHABÉTISATION

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CHAPITRE PREMIER

 

CONFÉRENCE RÉGIONALE

 

SUR LA PLANIFICATION ET L'ORGANISATION

 

DES PROGRAMMES D'ALPHABÉTISATION

 

EN AFRIQUE

 

La Conférence générale de l'Unesco, à sa douzième session en 1962, invita les États membres à « intensifier leurs efforts, sur le plan national, en vue de supprimer l'analphabétisme et de promouvoir l'éducation des adultes sur leurs territoires respectifs » 1. Elle autorisa donc le Directeur général à mettre en oeuvre un programme international pour les années 1963-1964, afin d'aider les États membres dans cette tâche.

 

Aussi, une conférence régionale sur la planification et l'organisation des' programmes d'alphabétisation en Afrique réunit-elle, en mars 1964 à Abidjan, des participants de trente-cinq pays d'Afrique et des observateurs venus du monde entier. Cette réunion intergouvernementale faisait déjà suite aux conférences des ministres africains de l'éducation successivement tenues à Addis-Abéba en mai 1961 et à Paris en mars 1962 ; elle précédait de quelques jours une autre réunion ministérielle 2 qui allait avoir lieu à Abidjan.

 

1. Cf. résolution 1.2532 de la douzième session de la Conférence générale de Unesco.

2. Il s'agit de la Conférence des ministres africains de l'éducation, qui eut lieu à Abidjan du 17 au 24 mars 1964.

 

 

Ce fut la première fois, cependant, qu'une rencontre internationale de cette nature et de cette catégorie souligna le rôle éminent et irremplaçable que devraient jouer les langues africaines dans le système scolaire et éducatif des États d'Afrique. On relève en effet, dans le rapport final de la conférence, les observations suivantes :

 

La Conférence a examiné longuement la question du choix des langues et les avantages et inconvénients que présente l'emploi des langues maternelles ou de la langue nationale pour l'alphabétisation. Il a été convenu que, sur ce point si délicat et si important, la décision doit être prise par le gouvernement de chaque pays. Des solutions et des décisions différentes seront sans doute adoptées sur la base de considérations culturelles, politiques, nationales, financières et techniques. Les participants ont été d'accord sur le fait qu'il est plus facile d'apprendre à lire et à écrire dans la langue maternelle, quand cette langue est adaptée à l'écriture, que les adultes acceptent souvent plus volontiers l'enseignement dans cette langue et apprennent en général plus facilement une deuxième langue lorsqu'ils ont appris à lire et à écrire d'abord dans leur langue maternelle. On a évoqué cependant les problèmes que pose l'alphabétisation dans des langues qui n'ont pas encore d'écriture. Lorsqu'on décidera d'employer, pour l'alphabétisation, des langues africaines qui n'ont pas encore d'écriture, ou dont l'orthographe est défectueuse, on devra faire appel, dès le début, au concours de linguistes spécialisés.

 

D'autre part, un certain nombre de langues africaines sont écrites actuellement avec plusieurs alphabets. On a considéré qu'il serait très souhaitable qu'une même langue n'ait qu'une seule orthographe normalisée, même si elle est parlée dans plusieurs pays ou si elle doit servir d'élément de liaison pour l'alphabétisation dans d'autres langues. L'orthographe idéale combine la simplicité avec le maximum d'exactitude phonétique1.

 

1. Cf. Rapport final, document UNESCO / AFMIN / 7, Partie 1, para. q,  p. 9.

 

Dans la deuxième partie du document précité, une étude plus détaillée, élaborée par la première commission de la conférence, aborde le rôle des langues africaines dans l'alphabétisation et, à cet effet, traite du choix des langues à employer et des problèmes que soulèvent leur transcription et leur orthographe. On en trouvera, ci-dessous, le compte-rendu intégral 1.

 

1. Ibid., Deuxième partie, para. 41 à 52,  pp. 8 à 11.

 

I. CHOIX DES LANGUES À EMPLOYER POUR L'ALPHABÉTISATION

 

La Commission a commencé par examiner les principaux éléments qui entrent en jeu dans le choix d'une ou plusieurs langues à utiliser pour l'alphabétisation des' adultes, et les mesures qui peuvent être prises à cet égard ; elle a envisagé ensuite les problèmes posés par la recherche linguistique et la transcription des langues qui n'ont pas encore été utilisées pour l'alphabétisation.

 

Les représentants de divers États africains ont rendu compte de la situation linguistique de leurs pays respectifs. Dans un certain nombre de pays, tous les habitants, ou une grande partie d'entre eux, parlent une langue principale unique. Dans certains cas, cette langue a été employée pour l'alphabétisation et il existe des textes écrits ; ce n'est pas le cas dans d'autre pays. À l'opposé, il existe des pays où un grand nombre de langues africaines sont parlées par différents groupes. Dans certains cas, aucune de ces langues n'a été employée pour l'alphabétisation tandis qu'ailleurs un certain nombre d'entre elles ont une orthographe fixée et sont écrites plus ou  moins couramment. En outre, plusieurs langues africaines sont couramment parlées dans deux pays ou davantage.

 

Étant donné cette grande diversité, il a été entendu que chaque gouvernement devait décider lui-même des langues à utiliser dans les écoles, ainsi que pour l'alphabétisation et l'éducation des adultes. Plusieurs éléments ont été mentionnés comme intervenant dans le choix des langues à employer pour l'alphabétisation, notamment :

 

  1. le nombre des personnes parlant la langue et le territoire sur lequel elle est utilisée ;
  2. la facilité avec laquelle elle s'apprend;
  3. l'usage qui peut en être fait;
  4. l'existence de textes écrits, la possibilité d'en produire et le coût ;
  5. le rôle que la langue peut jouer comme facteur d'unité nationale ou de solidarité culturelle.

 

En général, les membres de la Commission se sont montrés largement d'accord sur certains principes concernant le choix et l'utilisation des langues pour l'alphabétisation. Il a été admis, par exemple, que :

 

i.                     il est plus facile d'apprendre à lire et à écrire dans la langue maternelle ou dans une langue que l'on connaît que dans une langue étrangère ;

ii.                   apprendre à lire dans la langue maternelle n'exclut pas l'apprentissage d'une seconde langue ou même d'une troisième langue. On a cité le cas d'adultes beaucoup plus désireux d'apprendre à lire lorsque les leçons leur ont été données dans leur langue maternelle et qui ont ensuite exprimé spontanément le désir d'apprendre une langue étrangère;

iii.                  la langue maternelle étant le véhicule naturel de la pensée et de l'expression d'un peuple, son emploi pour l'alphabétisation et l'éducation des adultes resserre les contacts avec les sources de sa culture ;

iv.                 les personnes qui ont appris à lire et à écrire dans une langue qui n'est pas leur langue maternelle et qui n'est pas adaptée à leur pensée, semblent éprouver une grande difficulté à acquérir un vocabulaire suffisant et à s'exprimer avec facilité.

 

En revanche, un certain nombre d'arguments ont été avancés en faveur de l'utilisation, dans les régions multilingues, d'une seule langue - généralement la langue officielle - ou d'un petit nombre de langues importantes. On a invoqué notamment

 

a.       des considérations d'unité nationale;

b.      le fait que ces langues facilitent les contacts d'autres pays ;

c.       la nécessité de procéder à une étude linguistique pour la trans­cription de toute langue non écrite avant qu'elle puisse être employée pour l'alphabétisation ;

d.      les difficultés et les dépenses qu'entraîne la mise au point d'un matériel d'enseignement et de lecture dans des langues sans tradition littéraire.

 

 

2. TRANSCRIPTION DES LANGUES AFRICAINES

 

Abordant la question de l'orthographe, la Commission a adopté un certain nombre de principes de base, notamment :

 

  1. la nécessité d'adopter un système aussi simple que le permet l'exactitude phonétique ;
  2. l'intérêt d'une orthographe uniforme pour une langue donnée; cela est souhaitable même si la langue en question ne s'arrête pas aux frontières nationales et sert de langue intermédiaire entre différentes langues nationales ou officielles.

 

Les membres de la Commission sont convenus que, dans la transcription des langues africaines et leur préparation en vue de l'alphabétisation, il était indispensable de faire appel au concours de linguistes spécialisés, On a signalé par exemple que, sur un ensemble de quelque trois cents grammaires et dictionnaires de langues africaines, cinquante seulement étaient utilisables, la plupart ayant été établis sans le concours de spécialistes.

 

Cependant, les linguistes. ne devraient pas être invités à sortir de leur compétence, qui porte essentiellement sur deux domaines

 

i.                     l'adoption d'une orthographe ;

ii.                   la fourniture de données pouvant aider les maîtres à amélio­rer l'enseignement d'autres langues africaines et étrangères, et comprenant notamment l'analyse de la langue maternelle comparée à la seconde langue, et l'indication des principales difficultés phonétiques et grammaticales que les élèves sont appelés à rencontrer.

 

Enfin, un linguiste ne peut pas travailler sans la collaboration d'un certain nombre de personnes parlant couramment la langue locale, et on ne devrait pas lui demander d'établir des dictionnaires, car cette tâche ne peut être menée à bien que par quelqu'un qui a la pratique de la langue en question.

 

On a fait remarquer que l'apprentissage d'une deuxième langue était facilité par le fait que l'élève a été alphabétisé d'abord dans sa langue maternelle avec une orthographe plus ou moins conforme à celle de la deuxième langue en question. On a souligné toutefois qu'il n'y a aucune justification technique pour transcrire une langue africaine en « orthographe française » ou en « orthographe anglaise ». Il existe d'ailleurs une transcription phonétique internationale qui convient bien à la transcription des langues africaines. Cependant, certaines orthographes phonétiques ont été établies à l'usage des linguistes, pour la description scientifique des sons d'une langue, et sont trop compliquées pour servir à l'alphabétisation.

 

Puisque de nombreuses langues africaines sont des langues à tons, il conviendrait de trouver un moyen efficace de représenter ces tons.

 

Les participants sont convenus que la transcription d'une langue africaine qui n'a pas encore été écrite ou dont l'orthographe est défectueuse constitue une tâche qui ne peut être menée à bien que par un linguiste qualifié. On a souligné la nécessité de former des linguistes africains et il a été recommandé que des Africains plus nombreux étudient ce domaine de la linguistique.

 


Nos rémerciements à Aboubacar Mahamane du CELHTO à Niamey, pour nous aider à obtenir une copie de Langues et politiques de langues en Afrique noire : l’Expérience de l’UNESCO (Alfâ Ibrâhîm Sow, éd. ; Nubia, Paris, 1977), dont le premier chapitre (pp. 32-37) est reproduit ici. Mise en page par DZO.

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